Rétrospective "American Idol" (2002 - 2016) Partie 1/4 : la naissance du phénomène qui allait transformer la télévision américaine

3 Avril 2016 , Rédigé par Boby Publié dans #Rétrospective

Rétrospective "American Idol" (2002 - 2016) Partie 1/4 : la naissance du phénomène qui allait transformer la télévision américaine

A l'occasion de la fin de "American Idol" ce jeudi 7 avril aux Etats-Unis après 15 ans d'existence, UpfrontsUSA.com ne pouvait pas ne pas rendre hommage au programme considéré comme le plus impactant de toute l'histoire de la télévision américaine. Des audiences hors normes pendant près de 10 ans qui ont porté tout un network à la première place et mis à mal la concurrence. UpfrontsUSA.com vous présentera au cours des prochains jours une série d'articles revenant sur le phénomène sans précédent qu'a été "American Idol".

Ce premier article s'intéresse à la naissance du programme. Découvrez les coulisses de l'arrivée de "American Idol" sur FOX au début des années 2000. Cet article est une adaptation et une traduction d'un article publié par le New York Times en 2006, lui même adapté du livre de Bill Carter "Desperate Networks".

Les responsables des networks américains font face à un job très difficile pour ne pas dire compliqué : ils ont besoin de trouver des hits. C'est pourquoi ils dépensent des millions pour trouver et engager des scénaristes, acteurs et producteurs talentueux. Souvent, ils seraient plus bien plus avisés d'investir dans des projets audacieux car les très gros hits - ceux qui peuvent transformer les destins d'un network - tendent à tomber du ciel. Voici l'histoire de comment "American Idol" est arrivé sur la FOX en 2002 (spoiler alert : ABC a refusé deux fois le projet !).

Premier échec avec UPN aux Etats-Unis

En avril 2001, Simon Cowell participe à un entretien à Los Angeles avec les exécutifs d'une chaîne dont il n'a jamais entendu parler : UPN Network. Simon Cowell, un célèbre producteur de l'industrie musicale au Royaume-Uni, était complètement inconnu aux Etats-Unis. Les éxécutifs de UPN se sont assis autour de la table sans avoir la moindre idée de qui il était et n'étaient visiblement pas très intéressés d'en savoir plus sur lui. Eventuellement, ils connaissaient son partenaire Simon Fuller qui a dirigé les Spice Girls pendant de nombreuses années.

Mais peu importe, Simon Cowell croyait au nouveau concept qu'il détenait avec Simon Fuller pour une nouvelle émission musicale. Les deux compères savaient très bien comment lancer de nouveaux artistes et ils avaient maintenant une idée pour un show qui permettrait d'utiliser leurs talents devant la caméra.

Une présentation qui s'est très mal passée et où les dirigeants de UPN n'ont jamais donné suite. A la suite de cela, ils ont appelé tous les autres networks, MTV et plusieurs chaînes du câble. Tous ont eu l'occasion d'acquérir cette idée de programme en avril 2001 et personne n'a jamais éprouvé le moindre intérêt à l'offre proposée.

ITV achète et lance le format pour le Royaume-Uni

Ce parcours est en contraste total avec la manière dont le programme a été vendu au Royaume-Uni. Simon Cowell et Simon Fuller ont rencontré les dirigeants de ITV et après ce que Simon Cowell a estimé être une présentation de 30 secondes, le deal était signé. Bien sûr, c'était plus facile : les deux Simon ont déjà une énorme réputation au Royaume-Uni et ils abordaient un marché où les reality show musicaux fonctionnaient déjà avec "Pop Stars" et "Fame Academy".

Voilà ce que Simon Cowell a dit à ITV : "Ca aura tout le fun de "Pop Stars", mais nous pouvons faire mieux. Nous pouvons le faire de manière plus sévère et le public votera pour choisir le gagnant. Et le programme ne dépendra pas de la musique pour être un succès : ce sera un soap opera."

SImon Cowell s'est porté volontaire pour être un des juges de "Pop Idol", dont le format sera la propriété de Simon Fuller avec sa société de production 19 Entertainment et Fremantle Entertainment. Simon Cowell aura quant à lui droit à des royalties pour son label Syco Record sur tous les albums produits par un candidat de "Idol" à travers le monde.

Quand Simon Cowell a commencé les premiers enregistrements de "Pop Idol" au Royaume-Uni durant l'été 2001, le concept des auditions était le suivant : les candidats se présentent un par un, font leur prestation puis quittent la pièce. Les juges discutent alors de chaque participant une fois qu'il ou elle a quitté la pièce.

Les premières auditions ont eu lieu à Manchester mais après que cinq ou six chanteurs soient passés, Simon Cowell s'est presque énervé : "Je m'ennuie ici ! Ce n'est pas comme les vraies auditions !" a-t-il déclaré devant les producteurs. Il se tourne alors vers l'autre juge Pete Waterman pour lui dire : "Nous devons dire face aux candidats ce qu'on pense d'eux. Nous devons leur dire la vérité. Ils sont de la merde." Le concept qui allait faire la réputation du programme était né.

Nouvelle tentative aux Etats-Unis

Après son lancement en octobre 2001, "Pop Idol" est devenu le hit de l'année au Royaume-Uni et ses artistes parviendront à vendre des millions d'albums. A l'automne 2001, le propriétaire du format Simon Fuller repart donc à l’assaut des chaînes américaines pour tenter d'y vendre le programme. Cette fois, il s'associe avec Alix Hartley et la très imposante agence de talents Hollywoodienne Creative Artists Agency (CAA).

Considéré les énormes succès qu'ont rencontré "Who Wants To Be A Millionaire" et "Survivor" aux Etats-Unis en étant lancés pendant la période estivale, la stratégie est de vendre "Pop Idol" comme le nouveau divertissement idéal pour l'été 2002. Avec cette fois la version anglaise dans les cartons, ils pourront présenter un produit plus abouti aux chaînes américaines.

Andrea Wong, responsable des divertissements chez ABC, était la cible idéale pour la CAA. Elle était activement à la recherche de nouveaux formats et surveillait de près le marché britannique après que ABC ait échoué à sécuriser les droits de "Survivor" à deux reprises. Mais les producteurs de "Pop Idol" ont du affronter un problème que "Survivor" n'avait pas : les reality show musicaux avaient jusqu'à présent échoué aux Etats-Unis sur deux networks, l'un d'entre eux étant ABC.

En 2000, ABC avait testé "Making A Band" sur la création d'un boys-band qui n'a pas rencontré de succès, si ce n'est auprès que d'un seul public : les très jeunes filles. Le format musical fut directement mis en cause, jugé bien trop segmentant et incapable de rassembler un large public à l'échelle d'un network américain. WB Network, dont le coeur de cible était les jeunes adolescentes, avait essayé un format similaire avec "Pop Stars", qui n'a pas fonctionné non plus.

Avec ces deux échecs en tête, Andrea Wong a refusé le concept pour ABC. NBC et CBS ont également décliné. Les producteurs britanniques se sont alors tournés vers la FOX et sont allés rencontrés Mike Darnell en personne, le responsable des reality show de la chaîne. La rencontre a lieu avec Simon Fuller et Alix Hartley, sans Simon Cowell.

FOX est le premier network à montrer des signes d'intérêt et ABC refuse le concept une deuxième fois

Mike Darnell aime vraiment l'idée que l'émission serait majoritairement composée d'auditions : il n'a jamais aimé les concepts pour former des groupes, qui deviennent ennuyant une fois la phase des castings terminée. Voilà un concept où les auditions auraient la place centrale et le gagnant révélé qu'à la toute fin.

Mais Mike Darnell garde les pieds sur terre et surtout garde en tête le budget de sa chaîne pour la période estivale. Il demande ainsi si des sponsors sont déjà attachés au programme, ce à quoi les producteurs répondent que c'est en cours. Il leur est également suggéré d'aller directement voir le responsable des divertissements de FOX Sandy Grushow et son chef Gail Berman.

A l'écoute du pitch, les deux ont eu la même réaction : un concours de chant ne ressemblait pas à ce qui pourrait inspirer la télévision du 21ème siècle ou même à un hit. Les deux exécutifs de FOX trouvaient néanmoins que ça pourrait passer pour un programme estival neuf. Mais le problème c'est que la FOX n'avait plus d'argent : le budget de l'année était épuisé.

Sandy Grushow leur explique alors que la FOX n'allait pas acheter de droit de retransmission pour ce programme. S'il doit être mis à l'antenne, il doit être entièrement financé par des sponsors. "Nous ne savons pas grand chose du programme. Mais si nous pouvons l'avoir pour rien du tout, alors on ne se posera même pas la question" explique-t-il aux producteurs anglais. Ces derniers sont donc priés de revenir quand ils auront trouvé des sponsors.

Nous sommes alors fin 2001 et "Pop Idol" est devenu un phénomène au Royaume-Uni. FOX n'ayant fait aucun effort pour sécuriser le programme, la CAA repart voir Andrea Wong chez ABC, armée cette fois des audiences impressionnantes du programme au Royaume-Uni. Elle demande à voir un enregistrement du programme anglais. Une cassette est envoyée. Andrea Wong la regarde. Et rejette le programme pour la deuxième fois. La situation avec FOX est toujours dans l'impasse : pas de sponsor, pas de programme. Mais une rencontre va tout faire basculer.

Une rencontre décisive va tout accélérer

Alors que les négociations sont figées à l'automne 2001, plusieurs exécutifs de l'agence CAA rencontrent Elisabeth Murdoch, la fille de Rupert Murdoch, le propriétaire de la FOX. Cette rencontre a lieu lors du MIPCOM à Cannes où Elisabeth Murdoch est présente en tant que dirigeante de BSkyB, le plus grand opérateur télévisuel de la société de son père au Royaume-Uni.

Au détour d'une conversation avec Elisabeth Murdoch, les représentants de la CAA mentionnent le show et lui expliquent que la chaîne américaine de son père, la FOX, doit encore se décider pour acquérir les droits du programme pour les Etats-Unis. Heureusement pour la CAA, Elisabeth Murdoch, qui a assisté à la naissance du phénomène "Pop Idol" dans son pays, adore le programme et décide de lui donner un coup de pouce. Elle appelle alors son père, lui explique qu'elle adore "Pop Idol" et que le programme devient très populaire au Royaume-Uni. Elle le presse d'acheter les droits pour la FOX.

Dès le lendemain, Rupert Murdoch appelle Peter Chernin, son n°2 responsable de toutes les grandes décisions de la chaîne FOX : "Que se passe-t-il avec cette émission appelée "Pop Idol" ? C'est un gros hit au Royaume-Uni. J'ai parlé avec Liz et elle trouve ça génial." Familier du dossier, Peter Chernin lui répond qu'ils regardent toujours le projet. La réponse de Murdoch : "Ne le regardez pas ! Achetez-le ! Tout de suite !".

Peter Charnin s'exécute sur le champ. Il appelle Grunshow et Berman qui lui expliquent qu'ils attendent toujours que des sponsors soient présents. "Signez juste le contrat !" répond alors Peter Chernin, expliquant l'appel de Murdoch. "Ce sera fait dans la journée" répond Sandy Grushow.

Alors que la CAA ne proposait qu'une commande de 8 épisodes pour l'été, la FOX demande rapidement 15 épisodes, soit la même durée qu'au Royaume-Uni. Les agents de la CAA ont compris que l'un des Murdoch, si ce n'est les deux, ont du insister pour que le programme soit fait exactement comme en Angleterre. Après avoir visionné plusieurs épisodes de "Pop Idol", Sandy Grushow suggère que Simon Cowell doit également être importé avec le programme pour être dans le jury.

"Le problème avec vous les gens d'Hollywood c'est que vous voulez toujours changer les choses et vous ruinez tout"

Début 2002, Simon Cowell est heureux d'apprendre que le programme a finalement été vendu aux Etats-Unis, mais il a été légèrement choqué d'apprendre que la FOX souhaitait qu'il vienne également pour être juge dans la version américaine. A cette époque, Simon Cowell n'envisageait pas de devenir une star internationale de la télévision : il voulait simplement que le programme soit un succès pour que cela profite à son label musical.

Après quelques doutes et avoir finalement eu la confirmation qu'il pourra être aussi méchant que dans la version anglaise, Simon Cowell s'envole pour Los Angeles et le programme décroche un nom : "American Idol".

Lors d'une réunion organisée début 2002 pour discuter du développement des programmes de la FOX, Rupert Murdoch s'assoit à la table comme d'habitude. Lorsque vient le sujet des reality show, il demande directement où cela en est avec "Idol". Mike Darnell (le responsable des reality show de la FOX) était prêt avec ses plans pour réaliser le programme. "Voilà ce que je veux faire..." a-t-il commencé à dire avant d'être immédiatement interrompu par Murdoch. "Vous ne changez rien du tout. Ce show marche en Angleterre. Et vous allez faire le même programme qu'en Angleterre. Le problème avec vous les gens d'Hollywood c'est que vous voulez toujours changer les choses et vous ruinez tout" a-t-il déclaré selon l'un des exécutifs présent à cette réunion.

Personne n'a pensé à discuter le point de vue de Rupert Murdoch, même si certains cadres de la FOX qui ont vu le programme anglais estiment que certains points pourraient être améliorés (comme le nombre de juges ou d'animateurs). La FOX n'a pas fait signer Simon Cowell qui a demandé à ne faire qu'une saison puis voir comment se passent les choses. Un fait qui passe complètement au-dessus des préoccupations des dirigeants de FOX, toujours inquiets de voir les dépenses de ce petit programme d'été qui vient subitement de passer de 8 à 15 épisodes.

La sélection des autres juges s'est déroulée sans encombres. Randy Jackson, un producteur célèbre de Columbia Records, et Paula Abdul, qui a eu une grande carrière musicale aux Etats-Unis, sont des choix qui plaisent à Simon Cowell. Mais personne chez la FOX n'a encore vu les trois juges interagir entre eux avant le premier jour des auditions à Los Angeles (un quatrième juge devait être ajouté mais l'idée ne s'est pas concrétisée).

Le premier jour des auditions, Simon Cowell a comme promis lâché ses commentaires assassins sur ces jeunes prétendants chanteurs. Il a suggéré à une fille de prendre un avocat pour poursuivre son coach vocal, il a qualifié un autre d'horrible et de pathétique et a traité un autre de loser. Un comportement que Paula Abdul n'avait pas du tout anticipé en lançant des regards choqués à Simon Cowell tout au long de la journée. Apparemment, elle s'attendait à des auditions que les enfants américains ont généralement : "Oh, tu étais super. Merci, nous te ferons savoir." Ici, les jeunes chanteurs repartaient en colère ou en pleurs.

"Je pense que Paula va partir" a lancé Simon Cowell aux producteurs à la fin des enregistrements. Paula Abdul n'a pas quitté le programme mais la relation entre les deux est restée tendue dans ces premiers jours. Après les auditions, Simon Cowell est rentré à Londres pour reprendre son travail. Il retournera à Los Angeles pour les émissions en direct une fois que les premiers épisodes auront été diffusés. Il était confiant que le programme fasse de la bonne télévision mais n'avait aucune idée du succès ou non que pourrait avoir l'émission.

Un succès fulgurant

Le 12 juin 2002, Simon Cowell poursuit ainsi ses activités de producteur musical à Londres, n'ayant plus "American Idol" en tête. Le fait que le programme ait débuté la veille aux Etats-Unis lui était sorti de l'esprit. A 15h00 heure de Londres, il reçoit un appel de l'équipe de production à Los Angeles. "Simon, c'est génial, c'est un hit !" lui dit-on. "De quoi vous parlez ? Qu'est-ce qui est un hit ?" répond-il. "American Idol. Nous avons débuté hier soir et les audiences explosent les compteurs !" lui explique alors un membre de l'équipe de production.

"American Idol" fut le programme le plus regardé lors de sa première soirée le mardi 11 juin 2002 avec 10 millions de téléspectateurs. Pour le deuxième épisode diffusé le mercredi 12 juin, ils sont 11 millions. Simon Cowell se retrouve à faire 50 interview en une seule journée. Le phénomène qui allait dominer la pop culture américaine et propulser la FOX dans une course audimatique spectaculaire était né.

En l'espace de quelques semaines, FOX fixe tous les détails pour faire revenir le programme pour une saison 2 dès le mois de janvier suivant. Le 4 septembre 2002, 22.8 millions d'américains assistent à la consécration de Kelly Clarkson, la première gagnante de "American Idol". "American Idol" ne sera pas seulement le "game changer" que la FOX recherchait. "American Idol" sera un "business-changer" pour toute l'industrie des networks américains.

Rendez-vous lundi pour la suite de cette rétrospective spéciale.

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